Miracle joyeux de la naissance, miracle ténébreux de la mort. Entre les deux, une vie, un destin, dit Mawdo Bâ.
Son œil égoïste regarde par-dessus l'épaule de sa conjointe. Il compare ce qu'il eut à ce qu'il n'a plus, ce qu'il a à ce qu'il pourrait avoir.
Le conducteur n'a pour refuge que son frein, son klaxon, son sang-froid, on lui ouvre une haie désordonnée, vite refermée dans la bousculade.
Le passage silencieux du mensonge à autrui à celui qu'on se fait à soi-même est utile : qui ment de bonne foi ment mieux, joue mieux son rôle, est cru lus facilement par le juge, par l'historien, par le lecteur, par sa femme, par ses enfants.
Il est plus aisé d'interdire à un souvenir d'entrer que de s'en délivrer après qu'il a été enregistré.
Si nous devions et pouvions souffrir des souffrances de tous, nous ne pourrions pas vivre.
Tout être humain possède une réserve de force dont la mesure lui est inconnue : elle peut être grande, petite ou nulle, et seules les extrémités de l'adversité lui permettent de l'évaluer.
La notation de Svevo, dans La conscience de Zeno, où l'agonie du père est décrite impitoyablement - "Quand on meurt on a bien autre chose à faire qu'à penser à la mort. Tout son organisme s'employait à respirer."
Comme il en va de la santé, c'est seulement lorsqu'on la perd qu'on découvre tout son prix.
Ils parlent parce que (enseigne un dicton yiddish) "c'est un plaisir de conter les malheurs passés"; Francesca dit à Dante qu'il n'est "douleur plus grande/que d'évoquer les temps heureux/dans la misère", mais l'inverse est également vrai, comme le sait tout rescapé : c'est une joie d'être assis au chaud, devant la nourriture et le vin, et de se rappeler et de rappeler aux autres la peine, le froid et la faim.
Norberto Bobbio a écrit, il y a plusieurs années, que les camps d'extermination nazis on été "non un des événements, mais l'événement monstrueux, qui ne sera peut-être pas répété, de l'histoire humaine."
J'ai tenté de me convaincre que quitter quelqu'un n'est pas la pire chose qu'on puisse lui faire subir. C'est parfois douloureux, mais ce n'est pas forcément une tragédie. Si l'on ne quittait jamais rien ni personne, il n'y aurait pas de place pour la nouveauté. Bien sûr, passer à autre chose constitue une infidélité - aux autres, au passé, aux conceptions anciennes de soi. Peut-être, alors chaque journée devrait-elle contenir au moins une infidélité essentielle, une trahison nécessaire. Il s'agirait donc d'un acte optimiste, plein d'espoir, garantissant la foi en l'avenir, l'affirmation que les choses peuvent non seulement être différentes, mais meilleures.
Et le silence, comme l'obscurité, peut être doux : le silence aussi est un langage. Les couples ont de bonnes raisons de ne pas parler.
Ce soir, l’émotion qui l'emporte est la peur de l'avenir. Au moins, me dira-t-on, mieux vaut avoir la peur des choses que leur ennui, et la vie sans amour est un long ennui.
Un professeur honnête m'avait donné un poème de Thom Gunn intitulé En route, que j'avais déchiré du livre et que je conservais dans la poche revolver de mon Levis. Pendant les fêtes, je m'allongeais par terre pour le déclamer :
"On est toujours plus près quand on reste en mouvement."
Faut y aller.
Encore.
Père finit par me dire que je serais bien idiot de choisir une profession qui ne me procurerait pas du plaisir pendant le restant de mes jours.
Mais je me retiens de rigoler et je dirais ceci : dans le domaine de la sagesse, tout progrès exige une bonne dose de culot.
Trop de tout est parfois aussi nuisible que trop peu.
Mais il est puissant de détester quelqu'un ; haïr revient à s'étouffer soi-même, interminablement.
Quand les gens bougent, quand ils se déplacent, ils regardent d'où ils viennent, pas où ils vont. Les êtres humains font vraiment toujours comme ça?
Je n'éprouve presque plus l'effet de vertige habituel quand j'essaie de voir des choses qu'il ne regarde pas ou quand j'essaie de regarder des choses qu'il ne voit pas.
Les taxis jaunes, voilà un système imbattable. Ils sont toujours là quand on en a besoin, même sous la pluie ou quand les théâtres ferment. Ils vous paient immédiatement, sans poser de questions. Ils savent toujours où vous allez. Ils sont formidables. Pas étonnant qu'après, on reste là, pendant des heures, à leur dire au revoir de la main, pour les saluer eux et leur excellent service. Les rues sont pleines de gens le bras levé, trempés, fatigués, qui remercient les taxis jaunes. Il n'y a qu'un inconvénient : ils m'emmènent toujours dans des endroits où je ne veux pas aller.
Vous voulez savoir ce que je fais? Très bien. Un type arrive avec une bande autour de la tête. Nous ne perdons pas de temps. Nous avons vite fait de la lui enlever. Il a un trou dans la tête. Donc que faisons-nous. Nous y enfonçons un clou. Nous prenons le clou, bien rouillé de préférence, dans la poubelle ou autre. Et nous le conduisons dans la salle d'attente où nous le laissons hurler un bon moment avant de le reconduire dans la nuit. Nous sommes déjà passés à cette clocharde à qui nous soudons des chaussettes et des chaussures en plastique sur la plante de ses méchants pieds... Quand nous nous sommes débarrassés du sale boulot, nous sommes impatients de nous en aller. Dégagez. Ça n'a pas d'importance. Il y en a toujours davantage.