Dans un grand hall trônent d’élégants mais sobres fauteuils verts et un grand comptoir gris digne des réceptions de grandes entreprises. Mais sur le côté, un gorille en gros plan nous regarde fixement sur une affiche qui supplie «SOS sauvez nos espèces». Cette réception un peu particulière est celle de la Sustainability Management School (Sumas) ou Ecole de management durable, mais aussi, entre autres, du WWF et de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).
Nous sommes dans la commune de Gland, dans le canton de Vaud. Les cours de la Sumas se déroulent dans le bâtiment qui fait face à cette réception, avec vue sur les champs, le lac et les montagnes. L’école propose depuis 2012 des formations supérieures dont des MBA – axées sur la gestion et destinées aux cadres – en management durable, en finance et investissement responsables et en tourisme durable. Deux nouvelles formations, sur le même principe, viennent d’ouvrir: en mode et en hôtellerie. Leurs coûts: 39 545 francs pour les programmes sur le campus et 16 170 francs pour les programmes en ligne.
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L’approche de l’école se veut avant tout holistique: contrairement à d’autres formations, l’aspect durable n’est pas annexe. «Dans chaque étape d’apprentissage, la question environnementale et sociale se pose. Nous ne pouvons pas par exemple enseigner le marketing d’un côté, puis la durabilité de l’autre», réagit Ivana Modena, fondatrice et directrice de l’établissement.
Un raisonnement qui fait sens, selon Rafael Matos-Wasem, géographe et professeur à la Haute Ecole de gestion de la HES-SO Valais. Il donne dans cette HEG entre autres un cours d’éthique économique et développement durable. «C’est un domaine qui doit irriguer tous les champs de l’enseignement, parce que nous allons être amenés à prendre des décisions phares pour notre planète, y compris au sein des entreprises.»
«Planet, people and profit»
Mais que signifie durabilité dans cette école? «Planet, people and profit», nous répond-on. «Ce n’est pas le fait de faire du profit qui doit être changé mais la façon de le faire, avance Ivana Modena. Nous avons besoin d’argent, mais les décisions qui mènent au profit doivent respecter l’environnement, et les droits humains.» Les étudiants travaillent aussi sur des projets concrets lors de stages dans des entreprises plus ou moins axées sur l’environnement: WWF, Kellogg’s ou encore Nespresso.
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La poursuite du profit interpelle Rafael Matos-Wasem. «C’est un peu contradictoire. Qui dit profit dit marges et bénéfices, ce qui signifie que quelqu’un paie les pots cassés, les travailleurs ou l’environnement. Et cela sous-entend aussi de la consommation, pour faire tourner la machine.» Le professeur mesure cependant la difficulté de la situation: «Ces alternatives soi-disant durables sont un emplâtre sur une jambe de bois, il faudrait repenser le modèle dans son ensemble. Mais évidemment, et vu le contexte actuel, les entreprises doivent dégager un minimum de bénéfices pour exister, elles ne sont pas des organisations de bienfaisance.»
Les cursus sont tournés vers les entreprises elles-mêmes: «Dans le cours de projet managérial, j’ai travaillé avec un producteur de vin local et bio sur la façon de diminuer son empreinte carbone en réduisant son emballage», illustre Elisabeth Losasso, 43 ans. Désormais cadre à l’Institut Luc Hoffmann, centre indépendant de recherche créé par le WWF, elle a suivi un MBA en management durable à la Sumas.
La peur de Greta Thunberg
Pour la directrice, qui compte aujourd’hui une soixantaine d’inscrits dans ses MBA, les entreprises tiennent vraiment compte de ces questions, depuis peu. «Certaines changent parce qu’elles se sentent obligées, mais elles changent. Elles ont peur de Greta Thunberg! rit-elle. Mais c’est une transition, elle ne peut pas se faire du jour au lendemain.»
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Une transition, c’est ce qu’observe Giri Prasath, 26 ans. Cet Indien d’origine a suivi un MBA en management durable à la Sumas. «Je recherchais à la fois l’aspect business et environnemental». Le jeune homme est aujourd’hui stagiaire dans la société suisse Enviroports à Gland, qui travaille autour de la sécurité maritime et de l’élimination des déchets. «L’industrie maritime a de nouvelles règles en matière de pollution qui deviennent la norme.»
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Quand durabilité et business se mêlent, la question du greenwashing se pose toujours. «Bien sûr que certaines entreprises en font, commente Giri Prasath. Mais grâce aux analyses que nous apprenons à effectuer, je peux identifier ce qui est du greenwashing et ce qui ne l’est pas. Par exemple, lorsqu’une entreprise donne à voir ce qu’elle a changé, comme utiliser des énergies renouvelables dans sa production, pour cacher qu’elle continue par ailleurs à utiliser des produits néfastes.»
Les écoles sont toujours plus nombreuses à proposer des formations sur cette thématique, à l’image de la Business School Lausanne qui a ouvert en 2012 un MBA et un EMBA (pour les plus expérimentés) en business durable, qui connaît depuis un succès croissant. «La durabilité nécessite une vision radicalement différente du rôle du business dans la société. Elle ne peut être mise en place que si les cadres adoptent un nouvel état d’esprit», éclaire Branko Sain, directeur académique. Il précise que des pratiques durables sont aussi enseignées dans les modules plus traditionnels de l’école.
Il y a dans tous les cas urgence à agir. Rafael Matos-Wasem et Ivana Modena insistent sur ce point: «C’est la nouvelle façon de faire du business, il n’y a pas d’autre alternative car nous n’avons plus beaucoup de temps», alerte Ivana Modena. «Il faut agir à toutes les échelles. Et la formation joue en ce sens un rôle essentiel», conclut Rafael Matos-Wasem.